En thérapie, peut-être...en psychanalyse, nullement!
De la séduction de la société du spectacle
La série diffusée par la chaîne Arte " En thérapie " déclenche un certain nombre de commentaires embarrassés dans le landernau psychanalytique. Soyons clair : cette série ne sert pas la cause analytique, bien au contraire.
Cinématographiquement parlant, c'est indéniablement une réussite : le jeu des acteurs, l'enchevètrement des récits, le format, le rythme, etc, sont à saluer. C'est une réussite.
Psychanalytiquement parlant, c'est une catastrophe. Nous assistons au déploiement d'un fantasme névrotique portant sur le personnage de l'analyste. Roni Bath, le "psychologue" (et non pas psychanalyste), comme il se présente, qui a oeuvré comme consultant pour cette série (et bien d'autres réalisations cinématographiques) le dit clairement : il s'agissait de "montrer l'homme fragile qui se cache derrière le professionnel". Cette intention livrée très simplement éclaire le ratage complet de "
En thérapie " au regard de la psychanalyse.
Dans cette série, il n'y a aucune trace de psychanalyse parce qu'il n'y a pas de psychanalyste au sens lacanien du terme. Dayan est un thérapeute qui peut attirer de la sympathie et de l'intérêt, mais il ne tient pas la place de l'analyste dans le discours analytique tel que Lacan l'a élaboré et que tout analyste doit soutenir dans sa pratique, selon son style.
Les efforts pour montrer le sérieux professionnel du personage couplé aux déboires privés qu'il traverse sont au service d'une idée : l'analyste est un être humain comme un autre, fragile.
La stupidité naïve de cette visée s'entend clairement à la condition d'en savoir un peu plus sur la fin de l'analyse. Le grand public, lui, n'est pas averti, cela ne peut être autrement. La pratique analytique n'est pas l'exercice plus ou moins intellectuel d'une profession ; absolument pas. Le véritable héros de la série n'est pas la psychanalyse mais monsieur Dayan dont la posture est bien éloignée de celle de l'analyste. Lacan n'a cessé de pointer le fourvoiement de l'attitude de celui qui veut se faire le médecin de l'âme humaine, qui recherche le bien de ses patients et qui ravale la parole à la conversation, au dialogue, à l'éloge du sens, de l'explication intersubjective. Bien au contraire, la pratique du bavardage, parce que la parole bave, postillonne, achoppe, doit s'inscrire dans la perspective freudienne du chirurgien qui laisse de côté les réactions affectives. Elever l'acte analytique à la dignité de celle de l'acte du chirurgien disait Lacan.
Le désir inédit de savoir, qui est du côté de l'analyste, ne lâche rien sur la division du sujet, qui de parler se découvre être parlé. L'analyste, par son art de la présence, du retrait, de la coupure, de la polyphonie de l'équivoque, avec son corps, permet à l'analysant de rencontrer l'Autre de la parole. C'est à ce prix que le troumatisme du réel pourra se cerner et s'apprivoiser. Le sens et le dialogue y échouent immanquablement. Dayan y est emprétré.
Dayan apparait comme un personnage qui se débat avec sa propre névrose, à l'instar de ses "patients". Quelle drôle d'idée! Une analyse est une mutation subjective, une dissolution, une simplification et un renouveau. On est en droit d'attendre de celui qui a traversé l'expérience un autre rapport à la vie, à la vie psychique, à la vie quotidienne, à la vie amoureuse, au désir. C'est ce qui est totalement éludé dans cette série et l'on aurait tort de l'encenser en croyant profiter du malentendu qu'elle véhicule : du moment que ça permet de parler de psychanalyse ... Le public est au contraire amené sur la voie contraire, celui de se trouver perplexe devant le bonhomme "psy" et de se demander finalement à quoi ça sert une analyse si l'analyste est ainsi. C'est sur ce point que la série ne rend pas service à la psychanalyse.
Pour autant, peut-être que cette série pourrait nous permettre d'entendre que quelque chose clôche dans le "milieu" psychanalytique. Pourquoi les analystes ne témoignent-ils pas des mutations engendrées par la cure achevée, en tant qu'analysants? Pourquoi ne rendons-nous pas publique ce que l'on peut attendre d'une cure achevée?
Remarquons finalement que la série s'intitule "En thérapie" et non pas "En analyse". Heureusement pourrions-nous dire. Michel Schneider dans le magazine Le Point du 25 février 2021 nous rappelle quelques vérités premières, notamment que l'usage de la parole n'est pas aussi simpliciste que l'on voudrait nous le faire croire dans la société du spectacle : "La délation n'est pas une thérapie, [...], la libération de la parole n'est pas synonyme de libération par la parole". Michel Schneider souligne un des aspects positif de la série, même si nous en réfutons la qualification de psychanalyse : " Comme le montre justement En thérapie , il faut du temps et de l'intimité entre un thérapeute et son patient pour que la parole de ce dernier ait des effets curatifs .". Du côté de la psychanalyse, nous pourrions dire qu'il faut du temps pour que l'analysant accède aux dimensions du bien-lire et du bien-dire, grâce aux coupures, épissures et sutures produites par les interprétations de l'analyste, lesquelles fonctionnent comme des énigmes et mots d'esprits, entre sens et hors sens. "Qu'on dise reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s'entend"(L'étourdit). A quand une oeuvre cinématographique sur la psychanalyse qui saisirait l'écart entre le réel et la vérité ?
Laissons le dernier mot au poète Jean-Marc Sourdillon dont nous adaptons le texte : "Souffle avant courreur d'une parole qui balbutie [...] c'est pour cela qu'il est venu, pour que dans sa vie s'introduise quelque chose d'intact et de frissonnant et qu'alors il puisse, seulement alors, en toute conscience, commencer à naître, à naître vraiment au long d'elle dans la nuit froide, guidé de loin en loin par cette respiration, cette lumière qui hésite et qui tremble dans le froid, dans le verre, dans l'attente comme tout ce qui dans ce monde est vivant".